Lorsque l’on évoque l’alchimie entre amis, il n’est pas rare de voir s’amorcer sur certaines lèvres
l’esquisse d’un sourire poli mais ironique. Il est vrai qu’en beaucoup de domaines, les gens ont les
idées du commun et peu de connaissances de sujets qu’ils ont vite tendance à railler.
Newton, Jung que l’on ne peut ôter du cercle restreint des plus grands esprits de l’humanité furent
passionnés par l’alchimie. Mais, on peut rétorquer que même les plus grands ont le droit à des moments
d’égarements.
On ignore cependant qu’un des philosophes dont on ne peut soupçonner l’esprit de s’être fourvoyé dans
des fantasmagories, a touché de très près au secret de la Pierre philosophale.
Johan Friederich Schweitzer
Helvetius
Retournons dans le passé en 1666, chez Johan Friederich Schweitzer (1630-1709), médecin du prince d’Orange,
adversaire déclaré de ces billevesées répandues par de prétendus alchimistes.
Nous sommes le 27 décembre lorsqu’un inconnu demande à être reçu. Il est petit mais d’un maintien digne, âgé
d’une quarantaine d’années, il présente suffisamment bien pour que le médecin lui ouvre sa porte et consente
à un court entretien qui va porter sur la réalité de l’or potable, supposée médecine tirée de la substance
métallique. Schweitzer, bien qu’il ait lu Paracelse,
Basile Valentin ou
Le Cosmopolite a ce petit sourire dont nous parlions précédemment. Son invité sort alors de son veston
un écrin d’ivoire dans lequel repose une poudre couleur de soufre.
Vous voyez cette poudre, eh bien, il y a là assez pour transmuter quarante mille livres de plomb en or.
Le médecin lui demande alors la faveur d’effectuer un essai ce que l’inconnu refuse, arguant qu’il n’en a pas
l’autorisation. Puis s’éloignant un peu, il extrait du revers de son habit plusieurs pièces d’or qu’il prétend
de source transmutatoire. Le médecin les examine avec soin et reconnaît leur grande qualité. Il insiste pour
tenter une transmutation mais rien n’y fait. Son mystérieux visiteur le laisse sur ses interrogations, promettant
uniquement de repasser sous trois semaines.
Ce qu’il fait en effet !
Recommence alors la même discussion « philosophique » à propos de la transmutation, les mêmes doutes sont exprimés,
la même supplique aussi. Or, cette fois, le petit homme se laisse infléchir.
Nous avons la relation de tout cela par le Vitulus auréus, le livre écrit par ce médecin, plus connu aujourd’hui sous
le patronyme d’Helvétius. L’alchimiste ou ce disciple d’un alchimiste consent à lui laisser l’équivalent d’un grain
de riz de sa pierre de transmutation. Helvétius doute encore : comment un si petit morceau pourrait … L’homme reprend
son infime trésor et, de l’ongle, le coupe en deux, jetant une partie au feu !
Cela sera encore suffisant !
C’est alors qu’Helvétius confesse qu’il a déjà fait l’essai de cette matière. Il en avait subtilisé une infime parcelle
sous un ongle lors de leur première rencontre en décembre. Essai qui s’est révélé négatif ! L’aveu, loin de courroucer
son interlocuteur, le fait rire au contraire. Il lui explique alors comment procéder dans les règles de l’art. Prendre
une partie de son don, l’enrober de cire puis de papier avant de le soumettre à la chaleur du plomb fondu. Sur ce dernier
conseil, l’homme prend congé, promettant de revenir. Ce qu’il ne fit jamais.
Pressé par son épouse, Helvétius prit un tuyau de plomb et tenta l’expérience qui réussit au-delà de ses espérances.
Il porta aussitôt son lingot à un orfèvre voisin qui l’essaya à
la pierre de touche. C’était du bon et bel or que l’orfèvre
voulut lui acheter au prix fort. Helvétius refusa. Le marchand ne sut se taire et bientôt ce fut le maître des essais,
contrôleur des monnaies de la Hollande, maître Povélius qui traita sept fois le lingot à l’antimoine sans la moindre
diminution de poids. Après de multiples tests, il convint que c’était l’or du plus haut titre qu’il ait jamais vu !
Ce ne fut pas assez pour le septique Helvétius qui se rendit chez un des plus grands orfèvres du pays, maître Brechtel qui
lamina l’or, le mélangea dans de l’eau-forte avec de l’argent et fit fondre le tout. Une partie de l’argent s’était transmutée
en or ! Il ne constata pas de perte de poids !
Ainsi aurait pu s’achever le récit déjà fantastique de cette transmutation peu ordinaire si un des plus éminents philosophes
de son temps, Baruch Spinoza (1632-1677) n’eut vent de l’affaire.
L’homme est sans compromissions, banni de sa propre communauté juive pour son athéisme et ses prises de positions. On a même
tenté de l’assassiner. Il a particulièrement réfléchi sur les principes de la Connaissance et de la vérité. C’est un esprit
clair, honnête qui ne veut rien rejeter avant d’en avoir pesé la réalité. Voici ce qu’il écrivit à son ami Jarrig Jellis :
« Ayant parlé à Voss de l'affaire d'Helvétius, il se moqua de moi, s'étonna de me voir occupé à de telles bagatelles. Pour
en avoir le cœur net, je me rendis chez le monnayeur Brechtel qui avait essayé l'or. Celui-ci m'assura que, pendant sa fusion
l'or avait encore augmenté de poids quand on y avait jeté de l'argent. Il fallait donc que cet or, qui a changé l'argent en
de nouvel or, fût d'une nature bien particulière. Non seulement Brechtel, mais encore d'autres personnes qui avaient assisté
à l'essai, m'assurèrent que la chose s'était passée ainsi. Je me rendis ensuite chez Helvétius lui-même, qui me montra l'or
et le creuset contenant encore un peu d'or attaché à ses parois. Il me dit qu'il avait jeté à peine sur le plomb fondu le
quart d'un grain de blé de Pierre philosophale.
Il ajouta qu'il ferait connaître cette histoire à tout le monde. Il paraît que cet Adepte avait déjà fait la même expérience
à Amsterdam, où l'on pourrait encore le trouver. Voilà toutes les informations que j'ai pu prendre à ce sujet. » (Dans Opéra
posthuma.)
A ce stade de mon récit, j’entends clairement les septiques susurrer qu’Helvétius a pu se laisser abuser par un charlatan.
Or, il fit lui-même la transmutation en présence de son épouse.
J’entends toujours que, le dit Helvétius, a pu lui-même être ce charlatan, ayant inventé toute cette histoire. Or il était un médecin
en vue, estimé, honoré qu’avait-il à gagner à une telle supposée supercherie ?
Pour laisser à bien réfléchir à tout cela, relevons que c’est l’orfèvre Brechtel qui fit l’expérience de l’amalgame avec l’argent
sur le fruit de l’expérience d’Helvétius et que Brechtel ne pouvait être soupçonné de tricherie par qui que ce soit,
pas d’avantage que l’essayeur officiel du Prince Guillaume III d’Orange-Nassau.
Par Christian Attard