Robert Boyle fut un des représentants les plus illustres du cercle de Hartlib.
Bien qu’étant né fortuné, son existence ne se déroula pas comme un long fleuve tranquille…
Quatorzième enfant (et septième fils) du comte de Cork, il naquit en 1627 à Lismore en Irlande.
Il avait seulement trois ans lorsque sa mère disparut et, après une éducation reçue chez lui, il entra au Collège
de Eton dès l’âge de huit ans.
Il se réfugiât dans les études, y montrant très vite des dons exceptionnels. A onze ans, il quitta l’Angleterre pour
voyager dans toute l’Europe en compagnie de son frère ; c’est ainsi qu’on les vit à Paris, Lyon et enfin Genève où
ils seraient restés près de deux ans… C’est aussi à cette même époque que le jeune Robert marqua un intérêt à l’étude
des religions auxquelles il consacra une grande part de son existence.
Le périple les mena jusqu’à Florence où Robert passa l’hiver 1641 / 1642 à lire les ouvrages de Galilée. En 1642, les
deux jeunes gens se séparèrent ; tandis que des circonstances graves1 imposèrent à son frère de retourner en Irlande,
Robert reprit le chemin de Genève où il poursuivit ses humanités, y demeurant jusqu’en 1644, année où il revint en
Angleterre.
Il s’installa alors dans la petite cité de Stalbridge dans le Dorset, commençant à écrire des traités de religion.
Ce fut aussi là que, quelque temps plus tard en 1649, il mit sur pied un laboratoire lui permettant d’assouvir sa passion
des sciences pour réaliser des expériences de toute nature (tout au long de sa vie, les soucis d’argent lui furent étrangers),
d’où il acquit l’intime conviction que seuls comptaient les résultats provenant de l’expérimentation.
Cela ne calma pas pour autant ses velléités à vouloir reprendre son bâton de voyageur et, dès 1652, il quittait à nouveau
l’Angleterre, passant près de trois ans à rencontrer les plus grandes sommités de son temps comme Mersenne, Spinoza ou Pascal…
Ce fut également à cette période qu’il entra en contact avec le fameux cercle de Hartlib ainsi qu’avec tous ses membres qui
eurent sur lui une énorme influence. A son retour en Angleterre, il emménagea en 1654 à Oxford où il résida jusqu’en 1668 ;
ces quatorze années furent, pour lui, extrêmement fécondes car ce fut durant ce temps qu’il obtint la majeure partie des
résultats qui contribuèrent à le rendre célèbre, comme nous en reparlerons plus loin.
Boyle possédait une solide culture dans différentes langues (le grec, l’hébreu, le chaldéen) qui l’autorisait à se confronter
aux problèmes théologiques. Très préoccupé par ces questions, il finançait des recherches en ce sens ainsi que des traductions
de la Bible ou des impressions du Nouveau Testament. En 1668, il rejoignit sa sœur à Londres auprès de laquelle il vécut de
façon très spartiate durant vingt trois ans, au milieu de son laboratoire et recevant ses amis. Les honneurs n’étaient pas
son fort puisqu’il refusa successivement la présidence de la Royal Society… ainsi que la nomination à un évêché !
Robert Boyle et l'alchimie
Robert Boyle qui croit à la possibilité de la transmutation des métaux, met en doute,
dans The Sceptical Chymist (1661), la théorie des quatre éléments ainsi que celle des trois principes paracelsiens
(soufre, mercure et sel), et introduits l'idée d'élément chimique comme élément indécomposable, et non transformable
en un autre élément.
Il ne faudrait pas minimiser pour autant tout ce que Boyle a apporté sur un plan scientifique pur, et tout particulièrement
dans le domaine des gaz, certains allant même à le considérer davantage comme un physicien que comme un chimiste. La petite
histoire raconte que l’objet de ses premières recherches aurait été l’eau et que, devant ses échecs, il serait passé à l’étude
des gaz… Vrai ou faux, on l’ignore car ses études furent relativement éclectiques, mais le fait qu’il ait pu commencer par
concevoir une pompe à eau afin de tenter de comprimer les liquides, ce qui lui parut à posteriori impossible, lui fut sans
aucun doute d’un très grand profit pour prolonger cette idée avec les gaz.
Ce fut donc en compagnie de Robert Hooke qu’il inventa cette fameuse pompe à air en 1659, ne faisant là que reprendre la
construction de la machine pneumatique d’Otto von Guericke en la perfectionnant. Cet outil lui permit de réaliser ses expériences
sur l’air, non seulement à propos de son élasticité mais également sur son rôle auprès des organismes vivants, ce qu’il avait
entrevu après avoir placé des animaux sous une cloche en créant le vide. Il comprit aussi que l’air avait une influence sur
la combustion ainsi que dans la fermentation du moût… Lui aussi nota que du fer mis dans un ballon rempli d’eau additionnée
d’un peu d’acide sulfurique et reversé à nouveau dans un autre vase rempli du même liquide dégageait de l’air, mais il ne vit
pas les conséquences à tirer d’une telle observation.
Cette série de manipulations devait déboucher en 1662 sur la loi de compression des gaz énonçant qu’à température constante,
le volume d’un gaz était inversement proportionnel à sa pression (presque simultanément en France, un savant du nom de Mariotte,
indépendamment de Boyle, avait, lui aussi, noté le même phénomène).
Mais, contrairement à certaines allégations, il fut aussi un chimiste de premier ordre, mettant au point les réactifs chimiques
pour différencier les acides et les alcalis ou encore décrivant la préparation de l’acide azotique (ou nitrique) ainsi que la
synthèse du salpêtre. Par ailleurs, il est impossible de ne pas mentionner sa découverte du sulfure d’ammoniaque hydrogéné auquel
a été donné le nom de liqueur fumante de Boyle. Cet aristocrate profondément chrétien s’était également préoccupé de mener des
recherches tournées vers les autres, c’est-à-dire dans les applications aux arts comme on le dira communément un peu plus tard ;
c’est ainsi qu’il transmit sa méthode pour parvenir à étamer les glaces (un mélange de plomb, d’étain, de bismuth et de mercure)
ou pour enduire le fer de cuivre afin de le dorer ensuite (en cela, il se rapprochait de l’alchimie).
Il divulgua des informations jusqu’alors tenues secrètes sur la peinture sur verre et mit en évidence la propriété que possédait
le peroxyde de manganèse de décolorer le verre contenant du fer. En cela, il était en parfaite osmose avec les buts du cercle de
Hartlib, les participants s’engageant à révéler leurs innovations afin de contrer les charlatans se livrant à l’alchimie qui ne
pouvaient plus raconter n’importe quoi…
Enfin, il se livra à des investigations dans le champ physiologique, travaillant sur la température du sang (travail réuni dans
une publication en 1684) ou sur les poisons et ses antidotes. Sur ce dernier thème, il est assez judicieux de compulser le Nouveau
Traité de Monsieur Boyle paru en 1689 qui nous entraîne vers d’autres théories. Après avoir rapporté diverses façons de se guérir
des piqûres des scorpions en appliquant sur la plaie le même animal bien écrasé ou en frottant la partie blessée avec l’huile de
ces bêtes venimeuses, cette dernière étant obtenue en noyant des scorpions dans l’huile commune…
ou encore évoqué les morts lentes provoquées par les poisons africains que les indigènes dissimulaient sous leurs ongles qu’ils
avaient fort longs avant de les introduire subrepticement dans des boissons, l’auteur était amené à s’interroger sur les Rapports
des remèdes spécifiques avec les corpuscules, s’emportant contre ceux qui niaient l’utilité de tels médicaments : « Comment se
peut-il faire, disent-ils en nous insultant, qu’un remède qui erre dans toute la masse de sang aille tout droit choisir la matière
qui fait le mal, et qu’elle néglige toutes les autres choses qui s’offrent à son passage…
Il pourra arriver que les couloirs par où doivent passer les corpuscules arrêteront les parties les moins propres du véhicule… »
La liste des travaux de Boyle est loin d’être exhaustive4, mais nous voudrions profiter surtout attirer l’attention sur ses rapports
avec l’alchimie. Au demeurant il serait assez logique que son comportement le situât parmi les opposants les plus virulents à cette
(pseudo) science : sa persistance à ne croire que dans les faits reconnus dans son laboratoire et sa forte implication dans le cercle
de Hartlib en tant que propagateur de la pensée mécaniste ne militent pas en faveur d’une quelconque mansuétude envers les souffleurs.
Si l’on ajoute à cela que, dans son ouvrage Le chimiste sceptique (1661 / 1662), il mettait en cause pour la première fois la pensée
chimique traditionnelle, à savoir celle d’Aristote reposant sur les quatre éléments (terre, air, feu et eau) et qu’il rejetait également
le Soufre et le Mercure des alchimistes, laissant apparaître (plus ou moins…) la notion de ce qui sera plus tard défini comme un élément
chimique, on se dit que le bonhomme avait clairement choisi son camp.
Et pourtant… il fut souvent prêt de franchir la ligne jaune, à commencer par l’intérêt qu’il montra à la palingénésie et aux théories
audacieuses qu’il émit sur ce sujet. Cette idée assez saugrenue au prime abord qui avait germé, on s’en souvient, dans l’esprit de
Paracelse resurgissait à nouveau par son entremise ; nous avons écrit plus haut que Boyle avait énormément travaillé sur l’eau.
Il avait bien entendu extrapoler ses études au froid et n’avait pas été sans remarquer que des grenouilles et des poissons congelés
dans de la glace pouvaient alors revivre si de la chaleur leur était apportée, thème alors relativement récurrent dans le petit monde
des scientifiques (le chimiste français Lémery aurait soi-disant réalisé d’authentiques végétations métalliques encore appelées arbre
de Diane ou arbre philosophique) et s’il faut en croire certains témoins, Boyle aurait vu apparaître de petites figures de vigne sur
la glace dans laquelle il avait fait geler du vert-de-gris qui contenait beaucoup de parties salines de marc de raisin.
Mais il est un autre point où Boyle s’aventura, à savoir celui de la transmutation. Déjà, dès 1661, il prétendait en des termes alambiqués
qu’elle pouvait exister, tout en prenant bien soin de s’enquérir de toutes les précautions nécessaires pour ne pas être attaqué.
Quelques années plus tard, dans son étude intitulée : The origin of forms and Qualities, il mentionnait le phénomène de transmutation
dans les deux situations suivantes : la première, relativement classique, aboutissait à l’obtention de l’or et de l’argent ; mais il
faut surtout s’interroger sur la seconde, beaucoup plus originale, concernant la transmutation d’un élément itinérant à un autre comme,
par exemple, l’eau en terre, rappelant ainsi étrangement le compte-rendu établi par le Belge van Helmont sur ses observations concernant
la croissance des plantes quelques décennies plus tôt.
D’ailleurs Boyle utilisait à cet égard le vocable d’eau alchimique. Selon lui, le schéma de transmutation pouvait s’expliquer par la
structure des corps qui était différente en raison de la présence ou de l’absence de particules nobles et subtiles et non parce que la
texture générale des corps changeait... En réalité, nous voyons bien ici que c’est d’une alchimie d’un tout autre genre dont il s’agit ;
si le vocabulaire utilisé lui correspond, cela n’a rien à voir avec le Grand Œuvre et il est question en fait d’atomisme, même si cela
est fort mal explicité. Boyle n’a cessé de tenter de démontrer l’existence de particules ou de corpuscules… mais il ne parvint pas à
la notion d’élément au sens chimique du terme qui ne sera dégagée que bien plus tard.
Boyle n’était pas le seul à se poser ce genre de questions ; ainsi le fameux Digby ,lui aussi membre du cercle (et surtout un des
principaux soutiens financiers) de Hartlib, évoquait des thèses assez analogues dans son ouvrage De la végétation des plantes :
« Nous pouvons ressusciter une plante morte, la rendre immortelle ; et en la faisant revivre au milieu de ses cendres, lui donner une
espèce de corps glorifié et tel, pour ainsi dire que nous espérons voir le nôtre après la résurrection ».